jeudi 12 juin 2014

Pourquoi manger des fruits et légumes chaque jour ?


Les impératifs "manger-bouger" et "manger cinq fruits et légumes par jour" ont été massivement diffusés, notamment dans les messages publicitaires - comme une sorte de bonne conscience des industriels à nous fourguer leurs produits - qui se serait transformée en mauvaise conscience des consommateurs à difficilement suivre ces "conseils". Pas étonnant, étant donné le fossé quantitatif énorme qui sépare les places respectives qu'occupent dans la pub et les supermarchés, les produits agro-industriels et produits frais ou non-transformés.  Le message a d'une certaine manière perdu de son impact, s'il en a jamais eu.
Pour nous remettre les idées en place, écoutons le nutritionniste Christian Rémésy, interviewé par Alternative Santé

"Lorsque l'homme était peu sédentaire, dans une situation où il devait accomplir des tâches manuelles considérables, ses besoins énergétiques étaient très élevés. Il devait consommer beaucoup de pain et d'autres féculents pour "tenir le coup", le rôle des fruits et légumes pouvant paraître secondaire.
Maintenant nous sommes devenus sédentaires, notre consommation de féculents divers a chuté, mais elle a été largement remplacée par d'autres aliments énergétiques, non seulement une plus grande diversité de produits animaux mais aussi une multitude de produits transformés, riches en ingrédients purifiés ou en sucres et graisses cachés. 
Pour réduire la densité énergétique de notre alimentation, pour dispenser d'une alimentation abondante et légère qui favorise la satiété, il n'y a pas d'autres possibilités que de consommer beaucoup de fruits et légumes. Cela permet de compenser les défauts de notre alimentation de base, souvent bien appauvrie en micronutriments. N'oublions pas non plus que les fruits et légumes sont une source extraordinaire de facteurs de protection de par la diversité de leurs origines botaniques. (...)
le défaut de notre chaîne alimentaire est de nous fournir des apports énergétiques sans un environnement suffisant en micronutriments. les fruits et légumes, peu caloriques, peuvent pallier partiellement les défauts de composition des produits du secteur agroalimentaire. Il ne s'agit pas d'opposer viandes et fruits et légumes, qui sont des aliments complémentaires (...) Par contre, il faut réserver une large place dans l'assiette aux légumes et une part plus modeste aux produits animaux.
(...)
Tous les produits végétaux naturels contiennent des fibres (...) Par contre l'addition de certains glucides assimilés à des fibres (par ex. des fructo-oligosaccharides) dans les aliments par le secteur agroalimentaire reproduit fort mal les effets des structures fibreuses des produits végétaux naturels. Pour bien fonctionner, le gros intestin a besoin d'un apport complexe de ces fibres mais aussi de micronutriments qui leurs ont associés, donc il faut consommer une diversité suffisante de fruits et légumes et des autres produits végétaux pour l'entretien de la flore intestinale et la protection de la paroi du côlon.
(...)
D'un côté, on appauvrit les aliments en micronutriments par le fractionnement alimentaire et l'utilisation intensive d'ingrédients purifiés, de l'autre, la consommation des produits végétaux naturels est trop limitée.
(...)
Nous avons un statut d'omnivore (...) et nous avons été habitués à bénéficier d'une grande diversité de produits végétaux et donc de facteurs de protection qui sont spécifiques d'une plante donnée (...) Avec les micronutriments d'origine végétale, la protection est multifactorielle et physiologique."



 Alternative santé n°323, juin 2005, p.22-23


dimanche 1 juin 2014

La croissance verte ?


Dans un précédent billet nous nous interrogions sur la nature des éléments qui faisaient que dans le contexte de notre société capitaliste étaient  adoptées des mesures écologistes. Nous avions cité l'exemple de la gestion des déchets qui s'était développée car à notre sens, cela rapportait de l'argent.

Dans leur ouvrage "Le capital vert - une nouvelle perspective de croissance", les professeurs d'économie Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet en appellent à mettre un prix aux biens environnementaux, citant dans leur démonstration (page 81) l'article de Garrett Hardin paru en 1968, qui montre comment la gratuité d'un bien environnemental entraîne sa surutilisation, voire sa destruction, dans une société dominée par les échanges marchands. "Si sa valeur est nulle, pourquoi y prêter attention ? Personne n'en subit les coûts, personne ne mesure les conséquences de ses actes. Aucun individu ne va prendre en compte cette valeur nulle (on a oublié de lui donner un prix !) dans ses décisions de consommation, de production ou ses comportements. L'un des drames des biens environnementaux est que généralement ils ne sont pas marchands et donc n'ont pas de valorisation. Nous pouvons regretter qu'il faille mettre un prix, un tarif, une valeur monétaire à toute chose pour qu'elle soit prise en compte. Mais, sauf à modifier en profondeur nos sociétés, nous devons nous y résoudre si nous voulons éviter la "tragédie" de la destruction des biens environnementaux" (page 82)
Dans la partie suivante, les deux auteurs s'interrogent sur la valeur théorique à donner aux "biens environnementaux". Un exemple cité est celui de la biodiversité. Comment mesurer la valeur de la biodiversité ? Les auteurs partent de l'exemple du génome humain. La connaissance de ce génome permet de faire des progrès dans la compréhension et la traitement des maladies, de développer des médicaments... Si les assurances, l'alimentation et la santé s'intéresse à la connaissance de l'identité génétique, c'est que "le génome à un prix, une valeur sur le marché !" (page 109)
Le 1er séquençage du génome humain a coûté 3 milliards de dollars. Quelques années plus tard, il ne coûte "plus que 2 millions". Des entreprises cherchent à séquencer le génome pour moins de 100 dollars d'ici à 2020
"Il en va donc de notre génome comme des puces de nos ordinateurs ou téléphones. Les coûts s'effondrent et de nouveaux marchés peuvent voir le jour.(...)
Il peut paraître paradoxal de consentir à payer pour mieux se connaître intimement, génétiquement. Pourtant, si on vous laisse le choix, le coût devenant faible, êtes-vous absolument certain de ne pas vouloir connaître votre code génétique ou celui de vos enfants? (...)
Si le génome humain fascine plus que tout autre, les débouchés du séquençage sont nettement plus nombreux pour l'ensemble des espèces vivantes. Les compagnies privées et publiques s'intéressent de très près à l'ADN des plantes pour les biocarburants ou les bioplastiques, à celui des animaux pour leur sélection ... Cela signifie que ces sociétés sont prêtes à payer pour ces connaissances, pour avoir l'opportunité de les exploiter. (...) Et plus il y a d'espèces à étudier, plus les possibilités de valorisation présentes et futures sont importantes. C'est une des valeurs que nous devons prêter à la biodiversité. Participer à la réduction de la biodiversité a donc un coût, pas seulement moral mais économique."

Pour ce qui touche à l'utilisation des énergies fossiles qui entraîne le réchauffement climatique, il s'agirait de donner de la valeur à la stabilité du climat, ce qui a pour nom courant "le prix du carbone" : "Un tel prix permet d'envoyer les bonnes incitations à la fois du côté de la demande (efficacité énergétique et substitution de sources fossiles par des renouvelables) et de l'offre (réorientation des flux d'investissement vers le bas carbone). A partir d'un certain niveau (estimé aujourd'hui à 60-90 euros la tonne de CO2), le prix du carbone incite de surcroît à utiliser de nouvelles techniques de captage et stockage géologique de carbone qui pourraient permettre demain d'utiliser les énergies fossiles sans pratiquement plus émettre de gaz à effet de serre" (page 138)

Dans un autre chapitre, les auteurs s'interrogent sur les impacts qu'auraient sur la croissance l'introduction d'une tarification de la pollution : "Si nous introduisons une tarification efficace des pollutions, alors nous avons les moyens d'influencer les investissements vers une économie à la fois sobre en carbone et plus respectueuse de l'environnement, mais également d'investir directement dans le capital naturel."

Se pose donc la question : "Comment introduire les incitations qui vont susciter la transition écologique ?"

"Dans les visions naïves ou bien pensantes, la transition écologique va s'opérer spontanément, la société réalisant soudain l'intérêt commun qu'il y a à protéger le capital naturel pour léguer une planète vivante aux générations futures. L'approche économique a montré que l'enclenchement de cette transition est subordonné à l'introduction de puissantes incitations bousculant le système des prix et des revenus, afin que les agents accordent une valeur effective au capital naturel pour investir dans sa protection. mais comment introduire ces incitations dans le monde réel où de multiples intérêts établis, menacés par l'opération, vont se coaliser quand les bénéficiaires potentiels, qui souvent s'ignorent au démarrage, sont infiniment plus discrets, voire pas encore nés ?"

L'instrument mentionné par les auteurs est le "signal-prix" : "le signal informationnel passe par l'étiquetage des produits, les labellisations ou encore les campagnes d'information. Leur portée effective est limitée tant qu'ils se bornent à informer les acteurs de l'économie. Par contre, leur impact devient décisif quand cette information sur les impacts environnementaux est internalisée dans les prix : le signal informationnel se transforme alors en signal prix qui dans une économie de marché est l'outil majeur d'allocation des ressources. Pour être efficace (...), ce signal prix doit avoir deux caractéristiques : il doit tarifer l'ensemble des atteintes à l'environnement ; il doit toucher de la même façon toutes les entités à l'origine de la pollution."

Il s'agit au final de développer l'économie circulaire "dans laquelle les prélèvements sur les matières premières finissent par disparaître grâce à la généralisation des gains d'efficacité dans leur utilisation, au recyclage des produits en fin de vie et à l'utilisation de sources énérgétiques reproductibles" (page 216-217)
Trois types d'incitations sont à noter pour passer à ce type d'économie
1."Le développement de mécanismes de tarification des usages de la biodiversité est sans doute, avec la généralisation du prix du carbone, l'incitation la plus décisive à terme"
2. "Basculer d'une économie du produit vers une économie de la fonctionnalité." Aujourd'hui une bonne partie des produits ont une obsolescence programmée, avec des performances environnementales dégradées. La pression des associations de consommateurs "conduisent à mieux informer le consommateur sur les performances énergétiques et plus généralement les conditions d'utilisation des biens durables". L'introduction d'un signal prix doit permettre de corriger les défauts de cette "économie du produit".
3. L'écodesign consiste à intégrer dès la conception des produits le plus grand nombre de paramètres concernant l'optimisation de leurs usages tout au long du cycle de vie : fabrication, utilisation, mise au rebut.


Christian de Perthuis, Pierre-André Jouvet, Le capital vert. Une nouvelle perspective de croissance, Odile Jacob, 2013.