Il y a une vingtaine d'années, à l'époque où j'étais chercheur en neurosciences, j'ai beaucoup étudié les structures neuronales. J'étais frappé par le fait que le fascinant et vaste réseau de connexions qu'on appelle le cerveau est composé de cellules qui, prises, individuellement, ne sont ni très "intelligentes", ni très "compétentes". Mais dès qu'elles interagissent entre elles, elles donnent naissance aux facultés mentales les plus brillantes, comme la perception, l'intelligence, la créativité, la mémoire, etc. ces phénomènes, que nous qualifions d'"émergents", parce qu'ils dépassent infiniment les capacités des entités dont ils sont issus, sont en réalité le fruit des actions et rétroactions qui ont constamment cours entre tous les neurones.
J'ai compris plus tard que le corps tout entier fonctionne aussi sur ce modèle de réseau : le foie interagit à chaque instant avec les reins, qui interagissent avec la tension artérielle, avec la qualité du sang, la production d'urine, les cocktails d'hormones, etc. Tout comme les systèmes de neurones, l'organisme produit lui aussi des propriétés émergentes. Et, comme pour le cerveau, ces propriétés constituent une sorte d'"intelligence", cette "intelligence du corps", que nous sommes plus habitués à désigner sous le nom de "santé".
Qu'est-ce d'autre la santé, en effet, que la résultante d'un fonctionnement harmonieux et équilibré de tous les systèmes qui constituent l'organisme ? Quand ce fonctionnement se détraque, il ne sert à rien de s'acharner sur l'organe qui a l'air de flancher, le foie, le sang, le coeur, etc. Il faut chercher à restaurer l'équilibre de l'ensemble.
Toute la sagesse des médecines ancestrales, qu'il s'agisse de l'ayurveda, de la médecine chinoise ou de la tibétaine, est d'avoir compris que soigner, c'est rétablir l'équilibre au sein du corps et non pas se focaliser sur tel "problème" particulier. c'est cette vision qu'on appelle "holistique"
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Je suis très heureux de voir que les médecins auxquels j'ai le plus affaire en ce moment, les cancérologues, commencent à s'ouvrir à une vision plus systémique de leur métier. ils ont cessé de se focaliser exclusivement sur "la tumeur". ils intègrent progressivement la notion plus riche de "terrain" et s'intéressent maintenant à la nutrition, à l'activité physique, à la dimension psychologique... Cette attitude n'a rien de mystique, ni d'ésotérique, elle est tout simplement "holisique"
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J'ai compris plus tard que le corps tout entier fonctionne aussi sur ce modèle de réseau : le foie interagit à chaque instant avec les reins, qui interagissent avec la tension artérielle, avec la qualité du sang, la production d'urine, les cocktails d'hormones, etc. Tout comme les systèmes de neurones, l'organisme produit lui aussi des propriétés émergentes. Et, comme pour le cerveau, ces propriétés constituent une sorte d'"intelligence", cette "intelligence du corps", que nous sommes plus habitués à désigner sous le nom de "santé".
Qu'est-ce d'autre la santé, en effet, que la résultante d'un fonctionnement harmonieux et équilibré de tous les systèmes qui constituent l'organisme ? Quand ce fonctionnement se détraque, il ne sert à rien de s'acharner sur l'organe qui a l'air de flancher, le foie, le sang, le coeur, etc. Il faut chercher à restaurer l'équilibre de l'ensemble.
Toute la sagesse des médecines ancestrales, qu'il s'agisse de l'ayurveda, de la médecine chinoise ou de la tibétaine, est d'avoir compris que soigner, c'est rétablir l'équilibre au sein du corps et non pas se focaliser sur tel "problème" particulier. c'est cette vision qu'on appelle "holistique"
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Je suis très heureux de voir que les médecins auxquels j'ai le plus affaire en ce moment, les cancérologues, commencent à s'ouvrir à une vision plus systémique de leur métier. ils ont cessé de se focaliser exclusivement sur "la tumeur". ils intègrent progressivement la notion plus riche de "terrain" et s'intéressent maintenant à la nutrition, à l'activité physique, à la dimension psychologique... Cette attitude n'a rien de mystique, ni d'ésotérique, elle est tout simplement "holisique"
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Source : http://www.echecsetmaths.com |
A un niveau plus général, je suis persuadé que la médecine a atteint la limite d'un modèle fondé sur la recherche du "médicament miracle". Il existe quelques maladies que nous pouvons soigner très bien avec un seul médicament : l'insuline , par exemple, pour le diabète. Un traitement formidable qu'il ne faut certainement pas jeter aux orties. Mais on ne voit pas comment on pourra trouver "le" médicament qui résoudra des problèmes de plus en plus systémiques, comme l'obésité, le cancer ou l'hypertension artérielle. On peut espérer réduire la tension artérielle grâce au médicament, on ne soignera pas le problème de fond de cette façon. On ne pourra pas trouver "la" molécule contre la maladie des artères coronaires, car cette affection touche l'ensemble des artères: aucun médicament ne peut les "nettoyer" toutes. En revanche, la preuve a été apportée que trente minutes de vélo d'appartement, cinq fois par semaine, étaient plus efficace à cet égard que la pose d'un stent !
En réalité, les deux types d'approches sont utiles et - c'est là toute ma conviction - parfaitement complémentaires. Un patient qui fait un infractus, on ne le met pas sur un vélo. On lui pose un stent sur-le-champ, et on lui sauve la vie. Mais dans les mois et les années qui suivent la crise cardiaque, il vaut mieux qu'il fasse du vélo, sinon le stent se bouchera à nouveau !
Le principal obstacle au développement de cette médecine intégrée, c'est qu'elle n'offre aucune occasion de gagner beaucoup d'argent. Quand un laboratoire pharmaceutique découvre un médicament ou met au point le stent, c'est le jackpot : le brevet va rapporter des sommes fabuleuses. Mais si on découvrait qu'en se massant un certain point d'acupuncture on pouvait réduire de 30% le besoin d'anti-inflammatoire, ce principe ne serait pas brevetable ni ne pourrait alimenter une industrie.
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A travers la santé, on s'aperçoit qu'on touche de plus en plus à toute une série de questions brûlantes qui constituent le problème de fond de notre époque. Il a été très bien résumé par mon ami Michael Lerner : "On ne peut pas vivre en bonne santé sur une planète malade." C'est là où la santé rejoint l'écologie globale.
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De plus en plus d'agriculteurs se rendent compte qu'ils doivent passer au bio, pas seulement pour le bien de leur terre, ou de leur propre santé, mais également pour des raisons économiques, le bio permettant d'augmenter un peu les revenus de leur travail. Il est grand temps. Pensons par exemple à la vigne. Savez-vous que le vin contient mille fois la dose de pesticide tolérée dans l'eau potable, histoire de lutter contre le phylloxéra? C'est peut-être une logique industrielle compréhensible, mais sur le plan de la santé publique, c'est tout simplement démentiel. Or on a des solutions: le vin bio existe, et je parie que les amateurs de vin ne supporteront pas longtemps d'absorber un bouillon de pesticide sous prétexte de boire un bon cru.
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S'il n'y a qu'un exemple à rappeler, c'est celui des pesticides et des fertilisants. leur usage massif entraîne la destruction des sols et la contamination de notre nourriture. Puis, quand ils sont lessivés par les pluies, ils polluent les rivières et la mer, induisant des phénomènes dangereux comme la prolifération des algues vertes et le changement de sexe de certains amphibiens et poissons. En se retrouvant dans nos assiettes, ils contribuent à l'augmentation dramatique des cancers.
L'écologie nous apprend que toute forme de vie est l'expression d'échanges au sein d'un réseau. La terre elle-même ne fonctionne que comme un réseau où tout interagit avec presque tout en permanence. Là aussi, ces interactions génèrent des propriétés émergentes qui constituent l' "intelligence de la terre". C'est cette intelligence que nous sabordons quand nous sabordons délibérément les équilibres naturels. Heureusement, nous en avons pris conscience, et la compréhension des mécanismes de réseau est à mes yeux le progrès majeur des trente ou quarante dernières années.
Une commission de l'INSERM l'a reconnu : la responsabilité de facteurs environnementaux est considérable dans l'épidémie de cancers actuelle. Ces facteurs vont de la pollution atmosphérique aux radiations, en passant par la gamme infinie des molécules chimiques présentes partout autour de nous. C'est à la racine du problème qu'il faudrait s'attaquer : mettre fin à l'empoisonnement de l'environnement et réformer l'industrie agroalimentaire. Au lieu de quoi 97% de notre effort de recherche est tourné vers les méthodes de soin et de détection. Je suis de ceux qui pensent que notre santé est intrinsèquement liée à celle de notre environnement. Guérissons notre planète pour nous guérir.
David Servan-Schreiber, On peut se dire au revoir plusieurs fois, Robert Laffont, 2011, p. 139-149
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