Pour une fois sur ce blog, un extrait de roman, L'écologie inachevée, de Michel et Bertrand REMY, écrit dans les années 1970 mais publié seulement au début des années 2000. Ce roman met en scène une sorte de combat moderne entre David et Goliath, David étant ici un ancien étudiant en médecine, Herbert, devenu agriculteur, et Goliath une organisation secrète qui fait tout pour maintenir les sociétés modernes dans un état maladif et dépendant, pour continuer à générer du profit. Herbert, sur son exploitation, explore les liens entre une agriculture écologiste, la santé des hommes et la survie de sociétés modernes au bord d'un gouffre provoqué par la "désintégration sociale" : individualisme, compétition généralisée, consumérisme…
Bertrand REMY avait publié en 1954 Nous avons brûlé la terre, ouvrage précurseur de l'agriculture biologique en France"Vous ne savez sans doute pas ce que c'est que de nourrir un bébé. Une femme qui nourrit un bébé a besoin de manger pour deux : pour entretenir son propre corps et pour constituer celui de son enfant. La terre qui produit des récoltes, c'est la même chose. Il faut qu'elle entretienne son activité biologique, son métabolisme de base qui conditionne sa fertilité permanente, et il faut qu'elle nourrisse les récoltes qu'on lui enlèvera. C'est la différence entre la terre cultivée et la nature vierge, qui n'exporte rien. Et les agronomes modernes oublient simplement la moitié du problème : ils ne nourrissent pas la fertilité permanente. Après-moi, le déluge ! N'importe quel industriel sait qu'il faut entretenir la machine à produire. Les agronomes ne le savent pas. et on dit que l'agriculture moderne est industrielle ! Vous trouvez normal que toutes les plantes cultivées soient dévorées par des nuées de parasites ? Que tant d'hommes et d'animaux domestiques soient malades ? L'agronomie comme la médecine est devenue une foire aux produits chimiques. Personne ne pense à se demander comment la vie a fait pour se développer pendant des millions d'années sans médicaments pour les hommes et sans engrais chimiques et autres pesticides pour les plantes.
(…)
Je n'ai rien contre le fumier, mais je n'ai pas de gros bétail. par contre, j'en ai du plus petit que celui que vous avez vu. Toutes mes terres grouillent de toutes sortes de microbes qui sont la véritable base de la pyramide de la vie au sommet de laquelle nous sommes installés, vous et moi. L'agriculture chimique les extermine, moi je les cultive, je les nourris en développant l'humus superficiel - et ils me le rendent bien. Ils produisent par exemple des engrais azotés à mesure que mes cultures les absorbent, ce qui fait que je n'ai pas besoin d'acheter des engrais azotés artificiels.
- En somme, vous voulez démontrer que l'agriculture serait beaucoup plus efficace si elle utilisait les facteurs naturels de fertilité plutôt que de les supplanter systématiquement .
- Oui, mais ce n'est qu'un problème secondaire. Mon but, c'est de mettre au point une agriculture durable qui, non seulement n'use pas la fertilité, mais au contraire la développe au fil des ans. Actuellement, la fertilité se dégrade partout. Partout, la terre devient de plus en plus difficile à travailler du fait de la dégradation de l'humus. Dans les grandes plaines céréalicoles du bassin parisien, par exemple, le taux d'humus est souvent inférieur à 1%, ce qui est le taux relevé dans les sols désertiques au Sahel ! Le taux normal est de 5%…. il faut de plus en plus d'engrais, de produits de traitement, de machines lourdes et d'énergie pour maintenir la production.Les maladies, les parasites et les déserts se multiplient. Le problème est de découvrir si cette dégradation universelle est la conséquence naturelle inéluctable d'une sorte de vieillissement biologique normal du monde vivant, ou au contraire le résultat accidentel et anormal d'une dégradation par l'homme du milieu naturel. C'est un problème que j'ai résolu. Sur mes terres, il n'y a pratiquement plus de maladies physiologiques ni de parasites, et pourtant je n'utilise pas de produits curatifs artificiels. Et la fertilité augmente régulièrement, bien que je n'emploie aucun engrais chimique, mais seulement des minéraux naturels bruts que l'activité biologique du sol rend assimilables par les plantes à mesure de leurs besoins. Tout ce que j'ai fait, c'est réamorcer le fonctionnement normal des chaînes alimentaires en reconstruisant les facteurs naturels de fertilité, c'est-à-dire en faisant de l'humus et en éliminant toutes les carences minérales, en particulier les carences en oligo-éléments que l'agronomie productiviste ignore royalement. L'énergie solaire fait le reste."
Michel et Bertrand REMY, L'écologie inachevée, L'Harmattan, 2001, extraits p.17-20
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