John Muir, naturaliste et écrivain d'origine écossaise de la fin du XIXe siècle, écrivait ces belles lignes: « Escalade les montagnes et reçois leurs bonnes nouvelles. La paix de la Nature circulera en toi comme les rayons du soleil circulent dans les arbres ; le vent souffle leur fraîcheur en ton sein et les orages leur énergie, alors que les soucis tombent comme les feuilles en automne»
De nombreux autres poètes et artistes ont exprimé les bénéfices de la nature pour le corps, l'esprit et l'âme. Il s'agit de sentiments dont chacun a l'occasion de faire l'expérience au cours de son existence.
Les psychologues se sont intéressés au rôle de l'environnement naturel sur les sentiments, les comportements, les manières de penser, de sentir et d'agit. La vie moderne et son rythme frénétique occasionnent souvent une fatigue de l'attention dirigée, c'est-à-dire l'attention centrée sur des tâches spécifiques, comme le travail par exemple. Les symptômes de cette fatigue sont une difficulté à se concentrer, une tendance à être irritable et une fréquence accrue d'erreurs dans des tâches qui nécessitent de la concentration. Cette diminution des ressources cognitives face aux demandes de la vie quotidienne est une cause importante de stress. De nombreuses études ont démontré qu'un contact avec la nature est une manière très efficace de récupérer face à cette fatigue mentale. Le monde naturel nous aide à nous ressourcer. La plupart des personnes perçoivent les environnements naturels comme plus favorables à cette revitalisation que les environnements urbains. Un contact avec la nature permet aux mécanismes dont dépend l'attention dirigée de se reposer et d'être ainsi restaurés à leur niveau normal.
Autre découverte importante de la psychologie environnementale: les préférences écologiques des individus sont influencées par leurs besoins de lieux de récupération. En d'autres mots, si nous percevons les environnements naturels comme étant plus beaux et plus attractifs que les milieux urbains, c'est en partie parce qu'ils répondent mieux à notre recherche de cadres favorables pour nous recharger en énergie. De multiples expériences en psychologie confirment sans ambiguïté qu'une proximité avec la nature a des effets bénéfiques sur la santé psychique et physique. Par exemple, les résidents de quartiers urbains dont le cadre de vie est délabré et dépourvu de végétation naturelle semblent souffrir plus fréquemment de symptômes de stress chronique et de problèmes de santé, indépendamment de caractéristiques comme l'âge, le milieu social ou les habitudes de vie. En 1984, une étude étonnante a été publiée dans la revue Science par Roger Ulrich, un géographe américain. Il y démontrait que des patients qui avaient subi une opération chirurgicale récupéraient mieux lorsqu'ils occupaient une chambre d'hôpital avec vue sur un paysage naturel plutôt que sur un mur de briques. Les premiers pouvaient quitter l'hôpital en moyenne un jour plus tôt que les seconds, ils avaient besoin de moins d'antidouleurs et leur comportement était évalué de manière plus positive par les infirmières. Depuis, les résultats de cette étude pionnière ont été non seulement confirmés, mais également élargis à d'autres situations, en particulier par l'équipe de Terry Hartig, un psychologue américain de l'université d'Uppsala. La proximité ou même la simple vue de la nature augmente le bien-être sut le lieu de travail. Parmi les personnes qui ont un travail sédentaire, celles qui disposent d'une fenêtre avec une vue sur des arbres, des buissons ou des fleurs expriment une plus grande satisfaction que celles dont la fenêtre donne sur un parking une rue ou d'autres bâtiments. De plus, ces derniers souffrent plus fréquemment de maux de tête. Faite de courtes pauses au travail pour contempler un paysage naturel diminue la fatigue mentale. Des plantes d'intérieur dans un bureau ont également un effet relaxant. Dans une prison du Michigan, aux États-Unis, les prisonniers dont la fenêtre de la cellule donne sur une cour intérieure consultent le service médical avec une fréquence 24 % supérieure à celle des prisonniers dont la fenêtre donne sur un paysage champêtre.
En ce qui concerne le lieu de résidence, la source la plus importante de satisfaction pour Un échantillon d'Américains d'une communauté résidentielle proche de Détroit était la présence de zones boisées accessibles dans les environs immédiats de leur maison. Ce facteur était plus important que la taille du jardin. Le paradoxe est que la création de quartiers périurbains dans des zones de forêts entraîne la destruction de ces dernières, alors qu'elles constituent le facteur d'attraction principal des résidents de ces quartiers.
Des vacances consacrées à la randonnée à pied dans une nature sauvage engendrent à moyen terme (jusqu'à trois semaines après le retour) un plus grand sentiment de bonheur et de meilleures performances lors de tests qui requièrent une grande concentration que dès vacances consacrées à la visite d'amis ou de membres de la famille, Une excursion en voiture dans un environnement non sauvage, un voyage culturel ou des activités relaxantes chez soi. Des activités de jardinage pratiquées fréquemment permettent également de mieux faire face au stress (les médecins parlent même de «thérapie horticole »).
Une image de la nature est moins efficace, mais elle a également un effet apaisant: lorsqu'un des murs de la salle d'attente d'un dentiste est orné d'une représentation d'un paysage naturel ouvert, les patients ont une tension artérielle plus faible et se déclarent moins anxieux au moment de l'intervention. Après avoir subi un examen sur une matière difficile ou avoir visionné le film d'un accident industriel, des étudiants auxquels on a montré des images de paysages naturels récupèrent plus vite sur le plan émotionnel que ceux auxquels des photographies urbaines ont été montrées.
Tous ces résultats proviennent d'expériences rigoureuses menées en psychologie expérimentale et au cours desquelles de nombreux facteurs susceptibles de biaiser les observations ont été contrôlés par des procédures souvent sophistiquées. Ces recherches en psychologie environnementale démontrent que le fait d'être en contact avec la nature ou de la contempler en réalité ou en image a un effet bénéfique sur le bien- être.
Théories explicatives
En psychologie, trois théories permettent d'expliquer ces observations empiriques.
Selon la première théorie, qui porte sur le rétablissement de l'attention et qui est proposée par Stephen et Rachel Kaplan, deux pionniers américains de la psychologie environnementale, on récupère d'une fatigue due à une attention dirigée grâce à une attention involontaire, qui n'exige aucun effort. Les environnements naturels se prêtent particulièrement a cette réparation, car ils ont plusieurs propriétés favorables ; ils créent une distance psychologique pat rapport aux préoccupations mentales habituelles et éloignent donc de la routine. La montagne, la mer, les forêts offrent ce sentiment d'éloignement. Il s'agit bien d'une transformation ou d'un éloignement conceptuel plutôt que physique. Par leurs qualités esthétiques, les milieux naturels suscitent une «fascination douce» en sollicitant les sens sans effort particulier, grâce à une attention presque involontaire, fondée sur l'intérêt et la curiosité. Lorsque cette attention est engagée, les sollicitations de l'attention volontaire diminuent, ce qui permet de récupérer. Tel est le pouvoir d'un coucher de soleil, des couleurs de l'automne dont une forêt se revêt chaque année ou de la forme toujours changeante des nuages : cela fascine sans pour autant accaparer l'esprit comme le ferait la lecture d'un texte ou la participation à une réunion. Les environnements naturels offrent également un cadre organisé et cohérent, d'une grande ampleur et de portée suffisante pour créer le sentiment qu'il y a toujours plus à découvrir. Ils constituent donc un support idéal pour une exploration continue qui engage l'esprit. C'est le cas par exemple du sentier dont la courbe cache de nouvelles perspectives, ou des ruines et vestiges archéologiques qui nous connectent à des temps anciens et donc à un monde plus large que le cadre quotidien.
Enfin, il y a un degré élevé de compatibilité entre les inclinations des personnes et les caractéristiques de la nature, tant pour ce qu'elle a à offrir, c'est-à-dire les possibilités d'exploration, que par ce qu'elle exige, c'est-à-dire les contraintes associées à cette exploration. Que l'on aborde la nature avec un objectif de locomotion (randonnée à pied, à cheval ou à vélo), de prédateur (chasse ou pêche), de domestication (jardinage), d’observation (des oiseaux, des fleurs…) ou d’aventure, cette diversité d’approches rencontre toujours une des multiples facettes de l’environnement naturel.
Une théorie complémentaire à la première met l’accent sur les changements physiologiques et émotionnels pouvant se produire chez un individu lorsqu’il contemple une scène juste après avoir subi une situation qui impliquait un défi ou une menace. Au début des années 1980, Roger Ulrich (…) a eu l’intuition que la perception de certains contenus et qualités dans une scène aide à récupérer après un stress psychosociologique. (…) Selon cette théorie, la nature humaine serait préparée biologiquement à répondre de manière positive aux éléments de l’environnement qui signalent des possibilités de survie et de bien-être.
La troisième théorie, (…) affirme que les personnes développent une perception du sens de la vie et de sa finalité à travers l’expérience de l’appartenance au monde naturel (…) les individus ont un besoin, enraciné dans l’histoire biologique de l’espèce humaine, d’être affiliés et connectés avec le monde naturel. (…) En particulier, la capacité de réfléchir à des problèmes personnels et de les mettre en perspective augmente dans un cadre naturel, ce qui est bénéfique pour le bien-être.
E. Lambin, Une écologie du bonheur, 2009, édition Poche 2014, pp. 45-52