Toutes les statistiques convergeaient : la crise d'obésité avait bien explosé à la fin des années 1970.
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Trouver les raisons de cette brusque contamination donnait la clé de la pandémie.
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L'accroissement de la production par l'agriculture hyper-intensive
Mettant à terre 50 ans de contrôle de la production, des stocks et des prix, le patron de l'USDA (United States Department of Agriculture, sous Nixon) souhaitait que les fermiers américains se lancent dans l'agriculture de masse. Une nouvelle donne où le petit propriétaire n'aurait plus sa place. Il fallait "devenir gros ou disparaître".
Mettant à terre 50 ans de contrôle de la production, des stocks et des prix, le patron de l'USDA (United States Department of Agriculture, sous Nixon) souhaitait que les fermiers américains se lancent dans l'agriculture de masse. Une nouvelle donne où le petit propriétaire n'aurait plus sa place. Il fallait "devenir gros ou disparaître".
Pour Butz (patron de l'USDA), l'agriculture du XXe siècle s'apparentait à des champs uniformes, cultivés au maximum de leurs capacité, dont le rendement serait poussé grâce aux techniques modernes, allant du tracteur hautes performances à l'usage massif d'herbicides, pesticides et autres engrais chimiques.
Cette modernisation forcée s'avérait financièrement insupportable pour la majorité des agriculteurs.
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La moitié de la production de volailles, des œufs à la viande, appartient à quatre groupes, qui centralisent 80% de celle-ci dans deux états, la Pennsylvanie et le Texas. Quatre autres compagnies, DuPont, Dow chemical, Novartis et Monsanto, contrôlent, elles, 75% des ventes de graines de maïs.
Enfin, seulement six compagnies monopolisent presque totalité de la production de grains, du maïs au soja, en passant par le blé.
En 1978, quatre ans après l'accord signé avec les Russes (la vente aux Russes de l'équivalent de 80% du blé consommé par les ménages américains), la quantité de nourriture produite quotidiennement pour un Américain s'était accrue de 500 calories. Et ce en moins de dix ans. Désormais chaque habitant disposait de 3200 calories pour satisfaire son appétit. En 2000, poursuivant la tendance, le chiffre atteignit 3900. L'appareil de production alimentaire américain "fabriquait" donc le double des besoins de sa population actuelle.
Même si une partie de cette surproduction est gaspillée, le reste est bien englouti, avalé, ingurgité par l'Amérique.
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L'utilisation du surplus céréalier obtenu par l'hyper-intensification de l'agriculture pour la fabrication de sirop de glucose et son introduction dans les aliments.
Depuis le milieu des années 50, les chimistes de la Clinton Processing Company (CCPC) travaillaient sur un concept censé leur ouvrir de nouveaux débouchés. Ils souhaitaient réussir une hydrolyse de l'amidon du Maïs pour obtenir du sirop de glucose.
Depuis le milieu des années 50, les chimistes de la Clinton Processing Company (CCPC) travaillaient sur un concept censé leur ouvrir de nouveaux débouchés. Ils souhaitaient réussir une hydrolyse de l'amidon du Maïs pour obtenir du sirop de glucose.
En cas de succès, à terme, les céréaliers seraient alors en mesure de concurrencer les importateurs de sucre, dont la consommation et le prix n'avaient cessé de grimper depuis la fin de la guerre. L'Amérique importait en effet l'essentiel de la production de canne à sucre.
Les chercheurs de la CCPC avaient donc découvert une enzyme permettant d'hydroliser le glucose en fructose. Le HFCS 42 présentait deux autres avantages : il était technologiquement plus intéressant que le sucre grâce à sa conservation plus longue et à son aptitude aux mélanges supérieure, mais surtout il était moins cher à produire.
De 1967 à 1971, le HFCS fut développé et testé avec succès. Il restait à le lancer sur le marché américain.
La CCPC, propriétaire du premier brevet, représentait le partenaire idéal.
D'autant qu'en cette fin d'année 1973, grâce à Earl Butz, la compagnie de l'Iowa gérait des milliers de silos regorgeant de grains de maïs de coûtant pas grand-chose.
En 1976, alors que le marché de l'HFCS semblait parvenu à saturation, ADM (Archer Daniels Midland) rachetait la CCPC et investissait massivement dans la production de sirop de glucose-fructose.
Avant 1978 les débouchés du HFCS étaient restreints.
Les premiers utilisateurs, les fabricants de sodas, hésitaient en effet à remplacer le sucre. Le HFCS n'ayant pas exactement le même goût que la canne à sucre.
A en croire Dwayne Andreas (Pendant vingt-cinq ans, il a dirigé Archer Daniels Midland (ADM), le plus grand transformateur de produits agricoles aux États-Unis.), ADM avait inventé une véritable martingale. Ses chimistes étaient parvenus à modifier la recette originale du HFCS 42 et avaient mis au point un nouveau mélange contenant 55% de fructose. Avantage du HFCS 55, ne pas avoir les inconvénients gustatifs de son prédécesseur. Andreas allait pouvoir abattre cette carte et convaincre Coca-Cola.
A la fin des années 1970, la Compagnie [Coca Cola] s'était engagée dans une course frénétique de part de marché. Le patron de Coke ne se satisfaisait pourtant pas de la première place. Il voulait définitivement écraser Pepsi-Cola, puis s'attaquer au marché de l'eau.
Or, l'offre d'Andreas était le meilleur moyen de réussir.
Depuis quelques années (...)Coca-Cola était en effet agacé par le succès grandissant de Pepsi, les Américains préférant son goût plus doux.
L'HFCS 55 apportait la solution : plus riche en fructose, son goût s'avérait plus rond que celui du sucre. Sans avoir à modifier les proportions de sa recette, Coke put donc s'approcher de la formule de son concurrent.
En outre, Andreas disposait d'un autre argument de poids apte à convaincre. Grâce aux subventions de Washington, ADM pouvait vendre son produit à prix plancher. Concrètement, si coca-Cola abandonnait le sucre pour adopter l'HFCS, la firme ferait une économie de 20 à 30%.
Andreas avait enfin une ultime cartouche à tirer. Le volume des ventes de Coca-Cola se voyait contenu par le principe du glouton. Rares étaient en effet les consommateurs prêts à acheter et à boire deux bouteilles de soda d'affilé. Coke avait relégué sa légendaire bouteille de 18 cl pour la remplacer par une canette de 35,5 cl, mais si le coût de fabrication avait doublé, le prix non, Atlanta préférant rogner sur sa confortable marge plutôt qu'effrayer le client.
Cependant, cette méthode avait ses limites. Accroître encore la taille des bouteilles semblait délicat : elles auraient été soient trop chères, soient insuffisamment rentables.
Se convertir au sucre de maïs, c'était briser cet étau.
Tout le monde allait en profiter. McDonald's, le premier client de la Compagnie, récolterait sa part de bénéfices. Le Coke moyen s'y vendait 1,29 dollar en moyenne. Pour remplir un verre, en plus de l'eau et de la glace, 9 cents étaient consacrés à l'achat du sirop de Coca-Cola. Avec le HFCS 55, le coût du sirop supplémentaire n'excèderait pas 3 cents.
Coca-Cola ayant cédé en acceptant de passer au tout HFCS, un verrou venait de sauter. Et bientôt, les vendeurs de hamburgers et les fabricants de confiserie, de jus de fruit, de ketchup, de boîtes de conserves... en feraient autant.
Aujourd'hui, le HFCS est une superstar. Chaque année, 530 millions de boisseaux de maïs sont industriellement transformés en 8 milliards de litres de jus de glucose-fructose. On le retrouve partout. Et principalement dans les sodas.
On estime qu'une canette de soda dégage presque 90% de profits.
Ainsi depuis 1971, la consommation a plus que doublé aux Etats-Unis pour atteindre une moyenne de 575 canettes de 35,5 cl par Américain pour l'année 2005.
En fait, le succès est tel que les sodas sont désormais ici la première source de calories et même l'aliment le plus consommé du pays !
Lorsqu'un seul produit atteint un tel niveau de consommation, représentant en moyenne 7% de l'apport calorifique de l'Américain, il devient légitime d'évaluer son rôle dans la crise de l'obésité.
Le premier élément à charge est l'évolution parallèle des courbes de l'obésité et de l'absorption de ces boissons. Selon le bureau de recherche de l'USDA, la consommation de colas a connu une première explosion entre 1967 et 1977. Soit avant l'introduction du HFCS quand en dix ans, l'Américain s'est mis à boire 350 canettes par an contre 200 en 1967.
Dans la même période, le taux d'Américains obèses ou en surcharge pondérale monte à 45%.
En 1987, la consommation est passée de 475 canettes par an. Dix ans plus tard on arrive à 585.
Le taux d'obésité ? De 15% en 1976, il a grimpé à 23% en 1988 et 31% en 1999. Lorsqu'on cumule ce pourcentage avec celui des Américains en surcharge pondérale, on constate le même mouvement : les 45% de 1976 sont arrivés à 56% puis à 65%.
Chaque année, les adolescents américains absorbent l'équivalent de 15 cuillères à café de sucre contenu dans les sodas sous forme d'HFCS. Des chiffres énormes... encore en dessous de la réalité [ne sont pas prises en compte les boissons type Gatorade et jus de fruit qui contiennent aussi du sirop de glucose-fructose)
Comment cet état de fait est-il possible alors qu'à cet âge-là, l'essentiel de la journée se passe en classe ? Eh bien, il n'y a en réalité rien que de plus normal puisque la guerre des colas se déroule aujourd'hui à l'école.
Les stratégies mises en œuvre sur ce point mériteraient à elles seules un autre livre. Il y serait question de l'incroyable paradoxe américain qui voit les écoles publiques ne pas avoir d'autres recours pour financer certaines activités que d'accepter les millions de Coke ou de Pepsi.
William Reymond, Toxic, Flammarion, 2007, réédition J'ai lu, 2009
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