jeudi 28 août 2014

Fukushima et perturbateurs endocriniens -Santé publique versus intérêts financiers et politiques


Deux récents documentaires, l'un concernant la vie des habitants des environs de Fukushima, l'autre sur la définition des perturbateurs endocriniens par la Commission européenne, pointent les hésitations, les tergiversations et l'immobilisme des gouvernants lorsqu'il s'agit de prendre des mesures de santé publique lorsque des intérêts économiques puissants sont en jeu.
Sans vouloir résumé ces deux documentaires d'une heure chacun, rappelons les faits.

Concernant Fukushima, un pourcentage important de la radioactivité produite par les réacteurs nucléaires provient d'isotopes à longue durée de vie, et les régions massivement contaminés par ces types de poisons radioactifs (césium 137 et le strontium-90) peuvent rester inhabitables pendant des siècles, voire des centaines de milliers de ans (plutonium). Les terrains contaminés par ce type de pollution deviennent radioactives, ce sont les "zones d'exclusion".

Pour le cas du césium 137, Une fois qu'il s'est échappé dans la biosphère, il s'accumule dans les écosystèmes. Il est incorporés dans les sols, est absorbé par les plantes, et devient de plus en plus concentré dans les plantes et les animaux à mesure qu'il gravit la chaîne alimentaire.
Lorsqu'il est ingéré, le césium radioactif est stocké dans le tissu musculaire. Les gens et les animaux vivant dans les écosystèmes contaminés qui consomment des denrées alimentaires contenant ces poisons les concentreront dans leur corps. Ils peuvent souffrir de nombreuses formes de la maladie et en mourir. Les enfants, et les enfants à naître sont tout particulièrement vulnérables aux effets de la radioactivité. Les dommages génétiques causés par le rayonnement est cumulatif, et est transmis aux générations suivantes.
Le gouvernement japonais a créé un zone d'exclusion de 20 km autour de la centrale de Fukushima. Des dizaines de milliers de personnes ont été évacués.
Mais les campagnes de mesures ont également enregistré des niveaux très élevés de rayonnement bien au-delà de la zone d'exclusion de Fukushima. Alors que la zone d'exclusion définie par le gouvernement japonais est délimitée par un cercle concentrique arbitraire de 20 km autour de la centrale, les mesures effectuées montrent que la contamination dépasse largement cette limite.


Plutôt que d'élargir la zone d'évacuation ou de l'adapter en fonction des mesures effectuées, le gouvernement décide du relèvement de la dose "acceptable" de 1 mSv (millisievert) par an et par personne à 20 mSv par an et par personnes (équivalent à la dose autorisée par an pour les travailleurs du nucléaire en France). Le seuil est également relevé pour les travailleurs chargés du travail de décontamination.
Les personnes vivant dans la zone contaminée au-delà des seuils légaux, mais en dehors de la zone d'exclusion ont donc deux choix : partir (sans aide publique) ou bien rester mais avec un risque majeur pour la santé. Le gouvernement a bien mis en place un programme de décontamination de ces zones dangereuses mais au-delà de la zone d'exclusion, mais le reportage montre bien l'inefficacité de ces mesures, par exemple pour les maisons de type "traditionnelles" qui ne sont pas traitables car les murs et toitures sont contaminés.

Concernant la définition des perturbateurs endocriniens par la Commission européenne, rappelons les faits :

La définition d'un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange exogène, possédant des propriétés susceptibles d’induire une perturbation endocrinienne dans un organisme intact, ou chez ses descendants. Il s’agit de substances chimiques d’origine naturelle ou créée par l'industrie qui peuvent interférer avec le fonctionnement des glandes endocrines, organes responsables de la sécrétion des hormones. 
Ils sont issus de l’industrie chimique et sont contenus dans des objets de consommation courante, produits de traitement des cultures (pesticides), médicaments, cosmétiques.

Source : La Voix du Nord d'après France Environnement Santé

Le reportage décortique l'enjeu de la définition des perturbateurs endocriniens et les stratégies adoptées par les industriels pour influencer les décisions de la Commission européenne.
Pur résumer, la Commission doit décider s'il existe des seuils en dessous desquels les substances incriminées sont inoffensives pour l'homme. Si aucun seuil ne peut être déterminé, la Commission ira donc vers l'interdiction pure et simple de ces substances. 
Les lobbys industriels bataillent donc pour que des seuils soient établis. 
La stratégie adoptée rappelle celle adoptée pendant plusieurs décennies par les industriels du tabac pour réfuter la dangerosité des cigarettes.
Cette stratégie passe notamment par le développement d'une propagande qui vise à établir que le "principe de précaution" est non recevable car "non scientifique".
Après avoir joué les directions de la Commission les unes contre les autres (Direction générale Environnement contre Direction Santé et Consommateurs), cette propagande a directement visé les décideurs de la Commission et est passé notamment  par la publication - par 18 scientifiques ayant des intérêts dans les industries chimiques - d'un éditorial simultanément publié dans 14 revues scientifiques.
Alors que le rapport de la Direction Environnement préconisait l'absence de seuil, le lobby des industriels a réussi a influencer la Commission, qui doit désormais décider en fonction d'un autre élément en cours d'élaboration : une étude d'impact économique de l'interdiction des substances mises en cause.


Nous voyons donc au travers de ces deux exemples très différents que les mesures et politiques publiques en faveur de l'environnement et de la santé publique pèsent malheureusement peu de poids lorsque des enjeux financiers sont en jeu. 
Que faire ? Au Japon, le reportage nous montre d'une part les dangers auxquels sont exposés les habitants de la zone contaminée face aux politiques de "rafistolage" (décontamination) et d'autre part les initiatives prises par les habitants eux-mêmes (avec l'aide de réseaux associatifs nationaux et internationaux) pour compenser tant bien que mal l'inaction gouvernementale.
En Europe, face au lobbying (voire au chantage) des grandes compagnies chimiques, les institutions semblent impuissantes (les Etats européens ne sont pas d'accord entre eux sur les décisions à adopter), bien que les agissements des lobbyistes soient parfaitement connus et suivis par les députés européens, les agences sanitaires et environnementales, les journalistes, scientifiques voire même le grand public.

L’idéal  d’un « environnement » non pollué habité par des individus sains, vivant toujours plus longtemps fait consensus dans les sociétés de type occidentale. D’après l’anthropologue Lévi-Strauss, la recherche de la longévité humaine est d’ailleurs l’un des deux fondamentaux qui définissent la civilisation occidentale contemporaine.
Il n’y a pas un media (presses, TV, etc.) qui ne développe de thématiques « environnement-santé ». Il n’y pas une personne morale, publique ou privée, qui ne se vende ou ne communique sur ces thématique de santé et d’environnement. A croire qu’il s’agit là d’une nouvelle facette de la définition du "politiquement correct".
Et pourtant… Cet idéal entre en contradiction avec l’autre fondement des sociétés occidentales contemporaines (toujours d’après Lévi-Strauss) : l’accumulation toujours plus importante d’énergie (ou d’argent, mais l’argent est une modalité de l’énergie consommée).
Source : http://www.planetoscope.com/Source-d-energie/229-consommation-mondiale-d-energie-en-tep-.html

Ainsi les politiques de santé publique se heurtent-elles aux intérêts privés du monde de l’énergie ou de la pétrochimie, dans les exemples qui nous intéressent ici.
L’ environnement, la santé, l’écologie se voient ainsi relégués dans le domaine d’action de l’individu (les comportements individuels respectueux de l’environnement deviennent « vertueux ») et des associations d’individus consentants (associations d’habitants, de consommateurs, de contribuables) C’est d’ailleurs au niveau local que les politiques environnementales réussissent le mieux à « fonctionner », les législations nationales ou internationales étant systématiquement contournées ou repoussées à … plus tard.
Ce conflit entre l’idéal, l’intérêt des populations et les intérêts financiers est-il le signe d’une démocratie malade ? Ne faudrait-il pas plutôt y avoir le signe de rapports de forces déséquilibrés entre Etats démissionnaires de leurs politiques de santé publique et Intérêts privés toujours plus puissants ?