mardi 31 janvier 2012

L’art de prolonger la vie. Mens sana in corpore sano...

Christophe-Guillaume Hufeland (1762-1836), l’auteur de L’art de prolonger la vie, était un médecin et enseignant allemand de la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle. Bien que son nom soit presque inconnu en France, il peut être considéré comme un précurseur de la médecine naturelle préventive de tradition européenne.
Il est en effet l’auteur, dès 1797, du livre Makrobiotik, traduit en français par L’art de prolonger la vie. Bien que le terme de Makrobiotik existait déjà dans la Grèce antique, Hufeland réintroduit le concept dans la médecine du XIXème siècle.
Le principe présenté dans  Makrobiotik est celui de la force de vie (Lebenskraft), présente en toutes choses, même si elle est plus facilement détectée dans les êtres organiques, où elle se manifeste comme la capacité à répondre aux stimuli externes. Cette force peut être affaiblie ou détruite, ainsi que renforcée, par des influences extérieures ; elle est épuisée par l'effort physique et augmentée avec le repos. Hufeland ne recherche pas seulement une vie plus longue et plus saine, mais aussi une vie plus éthique - la santé morale et physique sont considérées comme étroitement liées, et découlent de la même source, toutes deux marquées par une abondance de force de vie. Il n’est pas de meilleur moyen de guérir de la maladie qu’en ayant une bonne alimentation et un bon mode de vie.
Les extraits présentés abordent des thématiques très contemporaines, à l’heure où l’on se soucie de plus en plus de la qualité des produits que nous propose l’industrie agro-alimentaire. Par ailleurs, à la manière d’un David Servan-Schreiber, Hufeland s’intéresse également à l’influence que peut avoir le moral sur la santé, et propose certaines  règles de vie, qu’il nomme « maximes-pratiques ».

Source : Wikipedia


"1°. Ce n’est pas ce nous mangeons, mais ce que nous digérons, qui nous sert de nourriture. Ainsi, que celui qui veut devenir vieux mange lentement ; car les aliments doivent, dès le moment où ils sont dans la bouche, subir ce premier degré de modification et d’assimilation. C’est ce qui se fait en les mâchant bien, et en les mêlant avec la salive ; deux points que je regarde comme essentiels au procédé de la restauration, et par conséquent nécessaires à la prolongation de la vie ; d’autant plus que j’ai remarqué que toutes les personnes qui ont vécu longtemps mangeaient lentement.
2°. Cela dépend aussi beaucoup de la bonté des dents ; aussi je mets la conservation des dents au nombre des moyens de prolonger la vie.
(…)
3°. Qu’on se garde d’étudier, de lire, ou de s’appliquer à quelque chose en mangeant, ce moment doit être scrupuleusement consacré à l’estomac ; c’est celui de son règne, et l’âme ne doit alors agir qu’autant que cela est nécessaire pour seconder ses opérations. Par exemple, le rire est un des meilleurs moyens que je connaisse pour faciliter la digestion ; (…) Enfin, il faut tâcher d’avoir à table une société gaie, ce que l’on mange au sein de la joie, produit sans doute un sang bon et léger.
4°. Il ne faut pas se donner trop de mouvement immédiatement après le repas, ce qui trouble considérablement la digestion et l’assimilation des aliments. Il faut, ou rester debout, ou se promener lentement de long en large. Le moment le plus propre aux exercices du corps, est avant le repas, ou trois heures après.
5°. Ne pas manger au point de pouvoir sentir son estomac ; aussi est-il bon de cesser avant d’être rassasié. La quantité de nourriture doit aussi toujours être en raison du travail du corps ; moins on a travaillé, et moins il faut manger.
6°. Manger à des heures fixes. Rien n’est plus nuisible que de manger sans règle, à toute heure et hors des repas. Pour bien digérer, il faut que l’estomac ait fini la digestion précédente, et qu’il soit vide, afin que ses forces, ainsi que les sucs nécessaires à la digestion, aient eu le temps de se réparer et d’acquérir un nouveau degré d’âcreté. Après des pauses semblables, on recommence ses fonctions avec de nouvelles forces, avantage dont se privent ceux qui mangent sans cesse. Cette habitude produit la faiblesse d’estomac, de mauvaises digestions, de mauvais sucs (…)
7°. Manger plus de végétaux que d’autres aliments ; la viande a toujours plus de tendance à la putridité que les végétaux qui ont un germe d’acide, et détruisent la putréfaction, notre ennemi mortel. Outre cela, la viande est plus irritante et plus échauffante ; au lieu que les végétaux produisent un sang plus rassis, diminuent les sensations intérieures, l’irritabilité physique et morale, et retardent par conséquent la consomption. Enfin, la viande fait plus de sang et nourrit davantage, et exige par conséquent, si on veut qu’elle fasse du bien, plus de travail et d’exercice ; sans cela, le tempérament devient trop sanguin. La viande ne doit donc pas être la nourriture des savants ni des personnes qui mènent une vie sédentaire ; ils n’ont pas besoin d’autant de restauration, il leur faut des substances non matérielles, mais délicates et propres aux occupations de l’esprit. (…) 
8°. Manger peu le soir, peu ou point de viande, quelque chose de froid, et toujours quelques heures avant de se mettre au lit. Les jeunes gens d’un tempérament ne peuvent rien manger le soir de meilleur que du fruit avec du pain bien cuit. En hiver, il faut choisir les pommes, qui procurent un sommeil léger et paisible, quand on mène une vie sédentaire, ont l’avantage de prévenir les engorgements.
9°. Avoir soin de boire suffisamment ; on peut, à force d’étouffer l’instinct de la nature à cet égard, finir par oublier entièrement de boire et n’en plus sentir le besoin ; ce qui est une des principales causes des dessèchements, des obstructions dans le bas-ventre, et d’une foule de maladies si communes parmi les gens d’étude et les femmes qui mènent une vie sédentaire. Toutefois, il faut observer que le meilleur moment pour boire n’est pas pendant le repas ; car alors on delaye les sucs de l’estomac, et on affaiblit l’estomac lui-même ; mais le moment le plus favorable est environ une heure après le repas.
La meilleure boisson, c’est l’eau, que l’on méprise tant et que beaucoup de personnes regardent comme nuisible. Je la mets sans balancer au nombre des meilleurs moyens de prolonger la vie.
(…)
Le vin réjouit le cœur de l’homme, mais il n’est nullement  nécessaire à la prolongation de la vie (…) bien plus, comme moyen irritant et qui accélère la consomption, il peut abréger la vie quand on en boit trop souvent et en trop grande quantité. Ainsi pour que le vin ne fasse pas de mal et soit un ami de la vie, il ne faut pas en boire tous les jours, ni jamais en trop grande quantité ; plus on est jeune, et moins on doit en boire, et réciproquement. En général il faut le regarder comme un assaisonnement de la vie, et n’en jouir que les jours destinés à la joie, et pour animer un cercle d’amis.
(…)
Le tabac que l’on fume gâte les dents, dessèche le corps, fait maigrir, rend pâle, affaiblit les yeux et la mémoire, attire le sang vers la tête et les poumons, donne par conséquent des dispositions aux maux de têtes et aux maladies de poitrine, et peut causer des crachements de sang et la phtisie à ceux qui ont des dispositions à cette maladie. Outre cela, c’est un besoin de plus ; or plus l’homme a de besoins et moins il a de liberté et de bonheur.
CHAPITRE XII
Le repos de l’âme, la sérénité, le contentement, sont les bases du bonheur, de la santé, d’une longue vie. Mais ces moyens, dira-t-on, ne se donnent point, ils dépendent des circonstances. Je pense différemment : s’il en était ainsi, les grands et les riches seraient les plus heureux des hommes, et les pauvres les plus malheureux. Cependant l’expérience nous apprend le contraire ; car on trouve dans la classe de l’indigence plus de contentement que dans celle des riches.
Nous avons donc en nous-mêmes des sources de bonheur ; c’est à nous de les chercher et d’y puiser. Qu’on me permette de donner ici quelques moyens dont une philosophie pratique fort simple m’a démontré la bonté, et que je ne propose que comme maximes-pratiques, et comme le conseil d’un médecin bien intentionné.
1°. Il faut avant tout combattre ses passions. L’homme agité en tout sens par ses passions est toujours placé dans un extrême, dans un état d’exaltation, et ne peut jamais parvenir à l’humeur nécessaire à la conservation de la vie. Il augmenta par-là sa consomption d’une manière terrible, et il ne peut manquer d’arriver bientôt à sa fin.
(…)
3°. Il faut vivre au jour la journée, mais dans le bon sens, c’est-à-dire, profiter de chaque jour, comme si ce devait être le dernier, et sans s’inquiéter du lendemain. Malheureux, qui ne pensez jamais qu’à l’avenir, qu’à ce qui est possible, et qui, en formant des projets, oubliez le présent ! Le moment présent n’est-il pas père de l’avenir ? Celui qui profite de chaque jour, de chaque heure parfaitement et selon sa destinée, peut le soir se livrer le soir se livrer au sentiment doux et satisfaisant, non-seulement d’avoir vécu un jour et rempli sa destinée, mais encore d’avoir posé les fondements d’un avenir heureux.
4°. Il faut tâcher de rectifier ses idées sur chaque objet, et l’on verra que la plupart des maux proviennent de mal entendus, de faux intérêts, de précipitation, et que l’essentiel est moins ce qui nous arrive que la manière de le prendre. Celui qui possède un fond de bonheur pareil est indépendant des circonstances. Que Weishaupt a bien raison de dire : « Il est donc toujours vrai que la sagesse est la source du plaisir, et la folie celle du mécontentement ; il est vrai, qu’excepté la résignation aux volontés de la Providence ; excepté la persuasion que tout est pour notre plus grand bien ; excepté le contentement à l’égard du monde et la place qu’on y occupe, tout ce qui conduit au mécontentement et à la folie.
5°. Que l’on cherche sans cesse à fortifier la confiance dans l’humanité et les vertus qui en proviennent, la bienveillance, l’amour des hommes, l’amitié. Que l’on regarde tout homme come bon jusqu’à ce que l’on ait les preuves les plus convaincantes du contraire ; et même dans ce cas-là, il faut le regarder comme un homme égaré, qui mérite notre compassion plutôt que notre haine. Il serait peut-être bon, s’il n’eût été séduit par des mal entendus, par le défaut de discernement, ou par un intérêt mal calculé. Malheur à l’homme dont la philosophie consiste à ne se fier à personne ! Sa vie est une guerre offensive et défensive continuelle, et son contentement et sa gaieté sont perdus sans retour. Plus on veut du bien à tout ce qui nous entoure, plus on rend les autres heureux, et plus on est heureux soi-même.
6°. Une condition nécessaire au contentement et à la paix de l’âme, c’est l’espérance. Celui qui la possède, prolonge son existence, non-seulement en idée, mais encore physiquement, par le moyen du repos et de l’indifférence qui en proviennent. J’entends par espérance, non celle qui se renferme dans les bornes de notre existence actuelle, mais celle qui s’étend jusqu’au-delà du tombeau. L’idée de l’immortalité de l’âme est, selon moi, le seul objet qui nous rende la vie chère, et qui nous fasse supporter avec patience les désagréments dont elle est remplie. – Foi et Espérance, vertus sublimes ! qui peut, sans vous, parcourir la carrière de la vie semée d’impostures et d’illusions, dont le commencement et la fin sont enveloppés de nuages, et où le présent n’est qu’un instant, qui à peine sorti du cercle de l’avenir, est déjà englouti par le passé. Vous êtes les seuls appuis de celui qui chancelle, le plus doux délassement du voyageur fatigué : celui même qui ne vous révère pas comme des vertus sublimes, est obligé de s’attacher à vous, comme étant nécessaires à la vie, et il cherche en vous sa force par amour pour lui-même, si ce n’est pas par amour pour l’Être invisible ! On peut,  sous ce point de vue, regarder la religion comme un moyen de prolonger la vie. Elle y contribue en raison des forces qu’elle donne pour combattre les passions, de l’abnégation de soi-même, de la paix intérieure, et de la vivacité avec laquelle toutes ces vérités se peignent à notre âme.
Il en est de même de la joie. Qu’on ne croit pas qu’il faille toujours des accidents extraordinaires pour la faire naître ; c’est la disposition de l’âme, dont nous avons parlé, qui nous rend susceptibles : et celui qui est doué d’une pareille humeur ne manquera jamais d’occasions d’éprouver de la joie ; la vie elle-même en est une pour lui. Toutefois il ne faut jamais négliger l’occasion de rechercher un plaisir pur et de plus propre à prolonger la vie que celui que nous goûtons en famille, dans le commerce de personnes gaies et bonnes, et dans les jouissances de la belle nature. Un jour passé à la campagne, dans un air pur, au milieu d’un cercle d’amis, vaut surement mieux que tous les élixirs du monde. – Je dois aussi parler de l’expression physique de la joie, du rire. C’est le mouvement du corps le plus sain, car il agite en même temps le corps et l’âme, facilite la digestion, la circulation, la transpiration, et ranime la force vitale de tous les organes.
Je dois aussi parler des occupations de l’esprit plus relevées, en supposant que l’on observe les précautions que j’ai indiquées ci-dessus. Ce sont des jouissances particulières à l’homme, et une source de restauration digne de lui. Telles sont les lectures agréables et instructives, l’étude de sciences intéressantes, la contemplation et la recherche de la nature et de ses secrets, la découverte de vérités nouvelles par des combinaisons d’idées, de conversations intéressantes, etc."

Christophe-Guillaume Hufeland, L’art de prolonger la vie humaine, Lausanne, Lyon, deuxième édition, 1809. Extraits pp. 292-307
Texte disponible sur Gallica à l’adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k649281

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